"La mémoire collective chez les musiciens" (1939) Maurice Halbwachs écrivait :
"...Revenons à la remarque qui a été notre point de départ. Elle portait sur le rôle des signes dans la mémoire tel que nous avons pu le mettre en lumière sur l’exemple de la musique. Pour apprendre à exécuter, ou à déchiffrer, ou, même lorsqu’ils entendent seulement, à reconnaître et distinguer les sons, leur valeur et leurs intervalles, les musiciens ont besoin d’évoquer une quantité de souvenirs. Où se trouvent ces souvenirs, et sous quelle forme se conservent-ils ? Nous disions que, si on examinait leurs cerveaux, on y trouverait une quantité de mécanismes, mais qui ne se sont pas montés spontanément. Il ne suffirait pas en effet, pour qu’ils apparaissent, de laisser le musicien isolé en face des choses, de laisser agir sur lui les bruits et les sons naturels. En réalité, pour expliquer ces dispositifs cérébraux, il faut les mettre en relations avec des mécanismes correspondants, symétriques ou complémentaires, qui fonctionnent dans d’autres cerveaux, chez d’autres hommes. Bien plus, une telle correspondance n’a pu être réalisée que parce qu’il s’est établi un accord entre ces hommes : mais un tel accord suppose la création conventionnelle d’un système de symboles ou signes matériels, dont la signification est bien définie…Né en 1877 à Reims, Maurice Halbwachs est mort en 1945 au camp de Buchenwald.
Mais, même les souvenirs qui sont en eux, souvenirs des notes, des signes, des règles, ne se trouvent dans leur cerveau et dans leur esprit que parce qu’ils font partie de cette société, qui leur a permis de les acquérir ; ils n’ont aucune raison d’être que par rapport au groupe des musiciens, et ils ne se conservent donc en eux que parce qu’ils en font ou en ont fait partie. C’est pourquoi l’on peut dire que les souvenirs des musiciens se conservent dans une mémoire collective qui s’étend, dans l’espace et le temps, aussi loin que leur société.
Mais, insistant ainsi sur le rôle que jouent les signes dans la mémoire musicale, nous n’oublions pas qu’on pourrait faire des observations du même genre dans bien d’autres cas."